vendredi 16 avril 2010

Disparition du géographe Paul Pélissier

Afin d'évoquer les apports de ce géographe spécialiste de l'Afrique, nous publions l'hommage que viennent de lui rendre Alain Dubresson et Jean-Pierre Raison sur le site des cafés géographiques.


"Paul Pélissier l’Africain

Paul Pélissier nous a quittés dans la nuit du 6 au 7 avril, après nous avoir donné un dernier exemple de lucidité, de maîtrise et de retenue, préparant sa mort comme il avait construit sa vie.

« Nous », ce sont ses élèves et collègues des Universités de Dakar et de Nanterre où le CEGAN, créé en 1972, qui fut son oeuvre, est devenu Géotropiques puis Gecko, par la vertu de regroupements autour du groupe restreint mais solidaire des « tropicalistes ». « Nous » ce sont ceux qui reçurent de lui un enseignement plus informel, « sur le terrain » et sous le karité, exercice où il excellait plus que tout autre ; ce sont les praticiens, agronomes, aménagistes, financiers gérants de projets, qui, passé le temps des dogmatismes et des modèles imposés, ont su apprécier dans le style classique d’une des meilleures plumes de la géographie française, d’un amoureux des arbres du Sahel, la pertinence d’une oeuvre qui va jusqu’aux racines pour préparer les bourgeons de demain. Le dialogue entre agronomes et géographes lui doit beaucoup. « Nous », ce sont les paysans longuement interrogés, par un
curieux qui savait les manières...

Défenseur intransigeant de l’osmose entre enseignement et recherche, tenant à maintenir au CEGAN le statut de laboratoire d’Université, il a pourtant largement oeuvré pour la recherche institutionnalisée, en étant, vingt ans durant, avec son ami et complice Gilles Sautter, créateur et animateur du comité technique de géographie de l’ORSTOM, menant à bien quelques opérations qui ont fait date comme l’Atlas des structures agraires en Afrique au sud du Sahara et le Colloque de Ouagadougou sur Maîtrise de l’espace agraire et développement en Afrique tropicale. Le renforcement de la formation à la recherche dans le troisième cycle, le souci d’établir des liens plus étroits avec les praticiens répondaient à ses voeux. Il fut de toutes nos aventures : le DEA “Environnement et développement“ à Nanterre, puis avec Paris I et l’EHESS, plus tard avec l’Agro, le DEA “Géographie et pratique du Développement dans le Tiers Monde“. Il y a quatre mois seulement, intarissable, il menait une séance de mastère.

Tant de dévouement à la cause commune gêna mais n’interrompit pas son oeuvre. Il est vrai qu’il est toujours passé pour un homme de la parole, un conteur exemplaire qui savait « perdre son temps » pour aller au fond des choses, mettre en confiance. Une première visite chez Paul prenait bien deux heures...A ceux qu’il appréciait, il était d’une fidélité sans relâche ; mais mieux valait par contre ne pas affronter son ironie. Sans doute faut-il chercher dans son extrême attention aux hommes, dans l’art qu’il avait de la transmettre, le secret de l’amitié, disons même de la complicité qui unit le groupe de ses élèves. C’est le legs d’un homme libre, ayant su rester à l’écart des dogmes, des modes et des théorisations en vogue dont il déplorait l’emprise sur les sciences sociales. Parmi ses oeuvres, qui résistent au temps, on retiendra Les paysans du Sénégal. Les civilisations agraires du Cayor à la Casamance (1966), ainsi que l’anthologie Campagnes africaines en devenir (1995). Mais il n’avait rien d’un nostalgique de la ruralité ancienne. Il accompagna la croissance urbaine en ardent avocat d’une humanité noire vivante et inventive dans les villes comme dans les campagnes [1], à contre-courant des antiennes stigmatisant les « retards » ou les « inerties » de l’Afrique, attentif aux singularités et aux dynamiques propres aux lieux et aux hommes dans leurs diversités, Paul Pélissier liait recherche et action, chevillant sans cesse géographie et aménagement. Quel plus bel exemple que la réhabilitation, par forestiers et agronomes, de Faidherbia albida, son arbre préféré, fourrager et fertilisant, qu’il sauva de l’oubli et de la destruction.

Opposée à tout enfermement identitaire, valorisant l’altérité, la pluralité culturelle, le poids des encadrements humains et du politique, sa pensée humaniste rayonne bien au-delà de sa discipline et de l’Afrique. Mais de ces autres aspects de sa personnalité et de son action nous dirons peu. Est-ce un effet de son action dans la Résistance ? Il pratiquait le cloisonnement. Il fut de très longues années et jusqu’à sa mort membre du Conseil de surveillance de l’AFD (antérieurement CCCE) et nul parmi nous ne peut se vanter de l’avoir conduit aux confidences. Son activité intense auprès des ONG fut du domaine privé. Alliant rigueur scientifique, élégance de parole et d’écriture, Paul Pélissier était un être rare, dont la noblesse tenait à l’humble manière d’être aux autres et au monde ; une manière qui n’était pas univoque, car il était capable de saintes colères, d’autant plus terribles qu’elles étaient plus rentrées contre la cuistrerie, les faux semblants, la malhonnêteté sous toutes ses formes. Il restera une référence intellectuelle et morale, un arbre indéracinable ancré dans les mémoires. ‘Que la terre lui soit légère’".
Alain Dubresson, Jean-Pierre Raison