vendredi 18 avril 2008

Césaire : "écoute épervier qui tiens les clés de l'orient"

Pour Patrice Nganang (in Manifeste d'une nouvelle littérature africaine, p. 151) : « c’est lui le poète le plus dissident de tout le mouvement auquel il aura donné un nom, et cela veut dire chez lui, en même temps que chevauchée par le chant messianique, tango de la colère avec le verbe libérationniste ; confrontation directe avec l’ironie de l’existence ». Il ajoute que le texte de Césaire ne laboure pas seulement l’espace de la traite et de l’esclavage mais aussi celui de la libération.
Plus que du Panthéon ou d’hommages officiels de circonstance, Césaire a avant tout besoin qu’on le lise. Cahier d’un retour au pays natal n’est pas derrière mais devant nous. Et on sent bien que ceux qui nous gouvernent, malgré quelque déplacement à Fort-de-France et discours convenus, n’ont pas entendu la parole du poète.

Alors tendons l’oreille :

écoutez chien blanc du nord, serpent noir du midi
qui achevez le ceinturon du ciel
Il y a encore une mer à traverser
pour que j’invente mes poumons
pour que le prince se taise
pour que la reine me baise
encore un vieillard à assassiner
un fou à délivrer
pour que mon âme luise aboie luise
aboie aboie aboie
et que hulule la chouette mon bel ange curieux.
Le maître des rires ?
Le maître du silence formidable ?
Le maître de la paresse ? Le maître des danses ?
C’est moi !


Quelques liens

*Le site de RFO a constitué un utile dossier sur les multiples facettes de Césaire.
*La biographie de Francis Marmande paru dans Le Monde du 18 avril.

« A MINUIT, L'INDEPENDANCE », projection et débat le 7 mai au SEDET

« A MINUIT, L'INDEPENDANCE » de Serge Ricci
Documentaire - long métrage (67 mn) - 1961
VHS (Français); Umatic (Français); 16 mm (Français). Langue(s) du film : Français

Reportage sur les cérémonies de l'indépendance dans les quatre États de l'Entente. Les 1er, 3, 5 et 7 août 1960, à minuit, quatre nouveaux chefs d'État prononcent solennellement l'indépendance de leurs pays : Hubert Maga pour le Dahomey, Hamani Diori pour le Niger, Maurice Yaméogo pour la Haute-Volta, Félix Houphouet-Boigny pour la Côte d'Ivoire, en présence de Louis Jacquinot, ministre d' État représentant de la France. Ce document souvent émouvant est un témoignage historique.

La séance est organisée par le groupe AOI (Afrique Océan Indien) du SEDET le mercredi 7 mai de 16h00-18h30, dans le cadre de la préparation du colloque de 2010 « vivre les indépendances ».
Lieu : salle 187 (103-105, rue de Tolbiac - PARIS 13e - Immeuble Montréal Bureau 221-2e étage Métro : station Tolbiac ou Olympiades) En préalable au film, Issiaka Mandé présentera la tournée de De Gaulle en 1958 et les discours dans les différentes villes parcourues. La projection sera suivie d’un débat.

lundi 14 avril 2008

Histoire africaine : Catherine Coquery-Vidrovitch décorée Commandeur dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur

Nous avons le plaisir de vous annoncer que Mme Catherine Coquery-Vidrovitch, professeur émérite à l'université Paris-7, qui a largement contribué à l'essor de l'histoire africaine en France et qui a formé des générations d'historiens depuis les années 1960, a reçu, aujourd'hui le 14 avril 2008, à Paris-7, les insignes de Commandeur dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur. Cette belle décoration, rare pour les universitaires, lui a été remise par le professeur Yves Coppens, qui a salué la carrière de Mme Coquery-Vidrovitch. Celle-ci, dans un discours lucide et émouvant, a évoqué son engagement scientifique et citoyen au profit de l'histoire. Elle a souligné par ailleurs la nécessité pour tout un chacun d'être responsable de ses choix ainsi que de ses actes. Voici le discours de Mme Coquery-Vidrovitch, bonne lecture !
Remise de la Légion d’Honneur,
14 avril 2008
Je remercie tout d’abord chaleureusement M. le Président de l’Université Paris Diderot Paris-7, M. Guy Cousineau, non seulement pour m’avoir accueillie dans ces nouveaux locaux que je ne connaissais pas, puisque je suis émérite et que mon laboratoire, le SEDET, n’y est pas encore installé, mais aussi pour avoir assumé l’organisation de cette cérémonie. Je remercie aussi ses collaboratrices, Mme la chef de cabinet Sibylle Auboyneau, et Mme Louise Chaillou pour leur efficacité si aimable, et bien entendu le laboratoire SEDET, pour m’avoir si généreusement offert la médaille en ces temps pourtant de resserrement budgétaire.Je suis particulièrement sensible à l’honneur que me fait le Professeur Yves Coppens de procéder à la remise des insignes. Car il est pour moi, historienne de l’Afrique contemporaine, très important d’être reconnue comme telle par celui qui fut l’un des tout premiers, sinon le premier à faire découvrir au monde que l’histoire de l’Afrique n’était pas une Afrique première, mais bien la première histoire du monde, à tout le moins chronologiquement, et donc aussi la plus longue du monde - même s’il ne s’agit que de quelques millions d’années de plus que les autres. Et si mes amis, mes collègues et mes anciens étudiants m’ont fait le clin d’œil de reprendre l’amicale plaisanterie de mon collègue nigérian Anthony Asiwaju en me surnommant Mamma Africa dans le beau livre d’hommage qu’ils ont confectionné pour moi, je crois que bien plus que moi, c’est Yves Coppens qui mériterait le surnom de Papa Africa. Je ne m’aventurerai pas plus longtemps dans cette longue durée africaine, car je suis encore trop ignorante pour cela, mais je ne continuerai pas sans évoquer le petit livre génial d’Yves Coppens qui s’intitule, non sans irrespect, ce qui me plaît aussi, « Le singe, l’Afrique et l’homme ». Je l’ai utilisé sans discontinuer dans mon enseignement général, depuis sa parution en 1983. Je signale aux amateurs que la dernière réédition date de 1999, et je recommande fortement la lecture de ce petit bijou. Même si depuis, bien sûr, il y a eu d’autres découvertes, il m’a comblée à l’époque, à la fois comme historienne, et comme citoyenne, puisque j’en ai retenu, entre autres, cette savoureuse boutade : l’homme - enfin disons l’être humain, car Lucy était une fille -, a commencé à penser par les pieds, puisque c’est en descendant de son arbre qu’il a dû se dresser de toute sa hauteur pour chasser, ce qui lui a fait découvrir l’horizon, et donc se poser des questions existentielles sur ce qu’il ne comprenait pas. C’est le type d’œuvre aussi qui vous montre combien il est important, tout en étudiant des choses très sérieuses, de ne pas se prendre soi-même trop au sérieux.D’où ma surprise d’être promue à ce grade relativement rare à l’Université. Pour tout dire, quand mon collègue Issiaka Mande, qui l’avait lu dans le Monde je présume, me l’a appris, et il en était gentiment quasi plus fier que moi, mon mari, qui a toujours été et demeure pourtant mon plus fidèle soutien, s’est exclamé : « mais c’est un canular ! ». J’ai pensé la même chose, même si aurait dû me mettre la puce à l’oreille la demande très discrète, de la part d’Albert Plet, directeur de l’UFR, de mon CV et de mes publications, ce que j’avais trouvé un peu bizarre vu ma condition d’émérite. Mais enfin, l’université nous réserve tant de surprises…Alors je remercie tous ceux qui y ont contribué et que je ne connais pas, puisqu’il faut bien que quelque personne très honorable ait rapporté sur mon dossier… A vrai dire, mon premier réflexe a été de penser qu’après tout, mon ego aurait autant sinon davantage apprécié d’être en mon temps sélectionnée par l’Institut universitaire de France, qui m’aurait au moins valu une décharge d’enseignement, ou bien d’être élue comme directrice associée à l‘EHESS. Mais soyons sérieux : tout cela est aujourd’hui forclos, tandis qu’il n’y a pas de limite d’âge pour la Légion d’Honneur ; alors ma foi, j’ai opté pour en profiter sans trop de complexe ; cela me vaut une dernière fois de rassembler des collègues de travail et des amis chers.J’ai alors eu la curiosité d’aller regarder ce qu’on disait sur le WEB de la légion d’honneur. À ma surprise, j’y ai trouvé peu de méchancetés, sinon bien entendu le mot que tous les historiens connaissent de Napoléon Bonaparte sur « ces hochets qui gouvernent le monde », et aussi ce commentaire désabusé que je cite : « presque n’importe quel personnage peut se voit attribuer la Légion d’Honneur ». Ceci me rappelle donc à la modestie, et justifie ce mot de François Mauriac que je ne connaissais pas : « La Légion d’Honneur, ça ne se demande pas, ça ne se refuse pas, et ça ne se porte pas ». C’est joli, mais ce n’est pas tout à fait exact : cela ne se demande pas, c’est vrai, mais, la première fois, au niveau du chevalier, cela doit être accepté par une signature. Issiaka m’a fait judicieusement remarqué que, puisque j’avais alors signé, c’était trop tard, je n’avais plus d’autre choix que de continuer. J’ai déjà expliqué, pour ceux qui étaient déjà là à cette occasion, que pour moi cela avait été loin d’être évident car la légende familiale m’a transmis que mon grand père vénéré, professeur de mathématiques à la morale stricte, et qui mourut gazé à Auschwitz quand j’avais 6 ans, avait justement refusé de signer car, disait-il, « si je la mérite on n’a qu’à me la donner ». Que diraient donc les mânes de mon grand-père si j’acceptais ? Il avait fallu pour me faire céder toute l’insistance amicale de Jean-Jacques Fol, qui fut un grand ami, et qui fut Président de notre université avant de mourir prématurément. Son argument massue avait été à l’époque le féminisme. Bon, je suppose que cet argument a joué à nouveau, même si, un petit peu rassurant pour mon ego, je suis apparue sur la liste en juillet 2007, avant que le principe de parité ne soit introduit – car l’on sait bien, il faut être réaliste, que dès lors qu’une profession ou une position se féminine, elle s’en trouve de facto dévalorisée.Bref, trève de plaisanterie. Je risque ici de dire un peu trop « je », et je vous prie de me le pardonner, car après tout aujourd’hui c’est ma fête, et je vais donc grâce à vous en profiter.Alors je vais d’abord vous faire part de mon étonnement, qui n’est pas feint. Car pour tout dire, j’ai eu pendant peut-être les ¾ de ma carrière le sentiment, peut-être exagéré, de faire partie d’une minorité apparemment négligeable, et assurément négligée. Sauf, et j’en rends grâce à l’université Denis Diderot-la-bien- nommée, au sein du microcosme des historiens et des géographes de Paris-7, qui à l’issue de la disparition de la Sorbonne avaient précisément choisi Paris-7 pour son côté contestataire et rénovateur. Bref mes collègues et moi étions, et nous sommes encore pour beaucoup restés collectivement minoritaires dans la conception de notre discipline et de nos recherches. Au sein de cette minorité collective, je me sentais aussi individuellement minoritaire.Combien de fois ai-je entendu suggérer, dans ma jeunesse, dans le milieu académique historien, mes travers fondamentaux : j’étais femme – le premier directeur de thèse d’État que j’ai contacté, au début des années 1960, me l’avais dit sans ambages, je cite : « les femmes sont faites pour écrire la thèse de leur mari » : inutile de préciser que nos rapports en étaient restés là. J’étais jeune, aussi – ça, au moins, c’est une maladie qui passe – donc nécessairement « arriviste », en un temps plutôt heureux où justement les problèmes de carrière ne se présentaient pas comme aujourd’hui, c’était un temps béni où ne se posait guère de question grave de recrutement. Enfin j’étais « rouge ». Du moins en avais-je la réputation, ayant mon franc parler et, naturellement, choisi mon camp lors de la guerre d’Algérie – Cela a même déterminé ma volonté de travailler sur l’Afrique puisque, antérieurement, je visais plus classiquement une spécialisation en histoire médiévale-. Les événements de 1968 n’ont pas arrangé les choses. Cette réputation plutôt incendiaire et, à mon avis, surfaite m’a poursuivie longtemps. Comme m’en a informée gentiment un jour un membre du Comité scientifique de l’Université de l’époque, je le cite : je « traînais une casserole », en l’occurrence en m’étant positionnée contre le recrutement de Bernard Lugan, historien africaniste révisionniste (pour ne pas dire plus) pourtant bien connu dans la profession. En sus, j’avais choisi une spécialité très minoritaire où l’une des seules grandes compétences, une fois Charles-André Julien parti en retraite, était ce savant humaniste que fut le géographe Jean Dresch. Jean Dresch était resté communiste par fidélité. Il est lui aussi ancien professeur de notre université et une salle de notre laboratoire, qui lui doit d’exister, porte son nom.Il y a eu à Paris 7, et tout particulièrement dans cette UFR dès le départ interdisciplinaire, « Géographie, Histoire et Sciences de la Société », une conjonction exceptionnelle de spécialistes des pays du Sud, qui nous a permis, et qui m’a permis en première ligne de lutter pour ce que nous voulions faire et qui n’était reconnu alors ni par les disciplines ni par le CNRS : l’interdisciplinarité et le comparatisme. Disons que ça a été part de mon combat professionnel tout au long de ma carrière. J’y ai été fortement aidée par des collègues solidaires. Je nommerai en particulier l’apport fondamental, en sciences politiques des relations internationales, de Monique Chemillier-Gendreau, qui n’a pas pu être des nôtres aujourd’hui. Il y avait une double difficulté transversale, et transdisciplinaire vis-à-vis d’autres disciplines en sciences humaines, alors que l’ethnologie-anthropologie revendiquait – à l’époque de façon légitime car rien d’autre n’existait-, - et continue parfois de revendiquer, ce qui est devenu aujourd’hui discutable -, le monopole dans le domaine de l’histoire non européenne et tout particulièrement africaine : ce d’autant plus aisément que c’était aussi, dans les années 1960, l’époque où, pour nos collègues historiens de la France et de l’Europe, l’Afrique n’avait pas d’histoire. Ce qui était une curieuse traduction du fait que l’Afrique n’avait pas encore d’historiens, ce qui n’est pas du tout la même chose.C’est à Armand Frémont, ici présent, alors directeur des sciences humaines au CNRS, que nous devons d’avoir été acceptés comme tel, et cela ne fut pas facile. Compte tenu des rigidités académiques et institutionnelles, cela reste difficile pour le laboratoire qui en est issu, dont j’ai quitté la direction depuis bien longtemps, qui se dénomme aujourd’hui SEDET, Sociétés en Développement, Études transdisciplinaires.Alors disons que, jusqu’à environ la cinquantaine bien tassée, j’ai eu le sentiment de me « battre contre », et d’être considérée comme un élément mineur : en raison de la sous-discipline, histoire de l’Afrique, que je pratiquais au sein de la grande discipline Histoire, et en raison aussi des idées, de l’esprit disons globalement non conventionnel que nous défendions.C’est ce qui fait que je me suis sentie si heureuse à l’Université Paris-7 : c’est le seul endroit où, en, France, pendant longtemps j’ai eu le sentiment que notre conception était comprise, appréciée, donc réalisable. Et puis tout à coup, disons une petite dizaine d’années au plus avant ma retraite, j’ai soudain réalisé avec étonnement que mon « statut social » professionnel avait changé : je devenais « persona grata » dans la profession. Oh ! avec des limites ! Certes, les institutions internationales m’ont alors assez souvent proposé des responsabilités. En revanche, ce n’est que rarement et très épisodiquement que le CNRS ou le Ministère de l’Éducation nationale et/ ou de la Recherche, celui de la Coopération puis des Affaires étrangères m’ont proposé, par exemple, de faire partie d’une commission spécialisée ou de faire une expertise. Je ne m’en plains d’ailleurs pas. Je ne fais que le remarquer. Pour tout vous dire, je n’aime guère cela. J’ai du mal à juger les autres, sauf évidemment quand c’est très mauvais, mais le cas est assez rare. J’ai tendance à penser que si des chercheurs s’attaquent à un sujet, même si celui-ci ne me branche pas, c’est qu’ils ont leurs raisons et que, ma foi, ils en sortiront sûrement quelque chose d’intéressant. Bref je ne suis pas utilitariste et je demeure à la fois bienveillante et distante vis-à-vis des choses que je ne comprends pas, ou que je ne connais pas.Mais quand je connais ou estime connaître, je dois reconnaître aussi que je ne fais pas de cadeau. Je suis aussi exigeante pour les autres que pour moi-même : mes anciens doctorants ne le savent que trop bien, et quelques collègues aussi.Ce tempérament de lutteuse qui me joue parfois des tours, je le dois en partie à mon itinéraire de vie. Comme plusieurs d’entre vous ne l’ignorent pas, j’ai perdu mon père et mes deux grands-pères par la 2e guerre mondiale. Ce sont des faits qui ont marqué pour la vie une gamine juive clandestine, considérée pendant 5 ans comme étrangère dans son propre pays. J’ai découvert sur le tard que j’ai eu à l’âge adulte, sans doute à cause de ce passé, tendance à séparer le monde en deux catégories : les justes, et les autres.Mais à ceci se mêle une vocation d’historienne ; je puis employer ce mot puisque, dans une famille traditionnellement rattachée aux sciences dures, j’ai su dès 10 ou 11 ans que je ferais de l’histoire. Or l’histoire exige à la fois la distanciation et la compréhension de l’autre, donc non seulement la tolérance, mais, selon le mot fort de mon collègue et ami Henri Moniot, le respect des convictions et des actions de l’autre - négationnisme exclu bien entendu-, respect de l’autre, même et peut-être surtout minoritaire ou exclu. Allez combiner ces deux facettes contradictoires de mon caractère : d’une part la dichotomie entre les principes que j‘accepte et ceux que je récuse, et d’autre part l’acceptation et la reconnaissance de l’Autre que m’impose la rigueur scientifique de ma discipline. Je donne quelques exemples : je ne suis pas loin de penser que mon expérience d’enfant me rend particulièrement sensible le fait que nombre de Français dits de la 2e ou 3e génération souffrent intimement (ce qui souvent n’est pas compris) d’un regard qui ne les reconnaît pas comme « vraiment français », en raison de leurs attaches culturelles ou de leur couleur de peau ; cela m’aide aussi sans doute à mieux comprendre que d’autres collègues la position des historiens africains, portés à examiner l’histoire de la colonisation de leur point de vue, c’est-à-dire comme une zone qui a été occupée par les blancs (au sens que nous donnons au mot occupation) : j’ai en effet retenu de mon enfance clandestine qu’une société occupée n’est pas simplement coupée en deux : les résistants d’un côté, et les collaborateurs de l’autre. C’est bien plus complexe. Certes il existe d’un côté une minorité résolue de résistants, et de l’autre le camp des collaborateurs, mais le gros de la population se situe entre les deux ; la plupart des gens ont surtout pour objectif de survivre le moins mal possible. Selon les cas, ils sont prêts à s’accommoder ou à s’opposer, leurs réactions sont incertaines et dépendent des circonstances dans lesquelles ils se trouvent placés souvent de façon inopinée. Ce fut absolument vrai pendant l’occupation en France, je pourrais multiplier les exemples d’expériences vécues. Mis à part, excusez du peu, l’extermination des Juifs (mais en France beaucoup de gens s’en aperçurent à peine, j’en citerai plus loin deux cas évidents), ce fut aussi vrai dans les colonies, si l’on accepte d’observer du côté des ex-colonisés.Donc j’observe l’autre, et je dois aussi le comprendre, ce qui implique que j’ai conscience de mes propres limites. Car, comme tout citoyen, j’ai des idées politiques. Comme tout un chacun, je me suis construit un certain nombre de convictions. Mais je n’ai pas l’esprit militant. Je suis beaucoup trop historienne pour cela. La relativité des choses me rend quasi impensable, par exemple, d’appartenir à un parti politique – même si je l’ai fait brièvement dans ma jeunesse, mais sans illusions au demeurant. Militer, pour moi, c’est militer par le savoir. Ce n’est pas antinomique, car le savoir est exigeant, à condition qu’il soit sans tabou et sans refoulé. Le savoir l’emporte toujours sur les convictions, quelques généreuses celles-ci peuvent-elles apparaître. En fait je suis pragmatique : l’histoire est une science sociale, donc une science expérimentale, et aussi conjoncturelle. L’historien a toujours un point de vue, fonction de son temps et de son lieu d’observation. Ses hypothèses de recherches en dépendent, consciemment ou non : alors mieux vaut être conscient de ses limites, c’est-à-dire à la fois de notre devoir de rigueur, mais aussi de notre incapacité à l’objectivité absolue. Puisque, ces temps-ci, on – historiens inclus- on a tendance à accuser l’autre d’idéologie sur quelques questions d’histoire considérées comme brûlantes comme l’histoire coloniale, ou l’histoire de l’esclavage, il faut savoir que, comme tous les autres, les historiens relèvent peu ou prou d’une idéologie, quelle qu’elle soit. Ceux qui croient, ou qui proclament ne pas en avoir sont peut-être plus idéologues que les autres. Car nous avons tous des idées, y compris, au sens large, des idées politiques, puisque, comme l’a définitivement exprimé Descartes, l’être humain est humain justement parce qu’il pense.Ces convictions ont donné chez moi quelques principes simples au demeurant, en qualité d’individu, et en qualité de citoyenne :- en qualité d’individu, je suis seule responsable de mes actes, individuellement et collectivement, et ce avec d’autant plus de rigueur que je suis fondamentalement laïque – et personnellement athée -. Je n’ai donc à n’en prendre qu’à moi-même au cas où je n’agirais pas dignement ou honnêtement. Ce principe de responsabilité, cela n’a l’air de rien, mais c’est très contraignant.- en qualité de citoyenne : je suis heureuse d’être née française, et j’aime mon pays. Nous avons aussi la chance d’appartenir à une nation riche – quoi qu’on en dise- et qui me permet, entre autres, de dire haut et fort ce que je suis en train de dire, ce qui est loin, hélas, d’être vrai partout dans le monde. Mais je ne suis pas plus fière d’être française que je ne le serais d’être norvégienne, grecque, ivoirienne ou malienne. Je sais ce que, comme les autres pays presque partout dans le monde, mes concitoyens, au vu de l’histoire longue de la France, ont été et demeurent capables de faire. Il y a eu le drame des Cathares, le massacre de la Saint-Barthélémy, les Dragonnades de Louis XIV, les excès de la Terreur, les massacres de la Commune … et, bien entendu, plus près de nous, la France de Vichy. Parlons donc de ce que je connais concrètement : je n’oublie pas qu’à l’école à Paris, en 1943, une copine de huit ans m’a déclaré qu’elle pouvait reconnaître les Juifs à l’odeur tant ils puaient. Je n’oublie pas que c’est une voisine qui a dénoncé mon grand-père parce qu’il ne portait pas l’étoile jaune, et que c’est un jeune Français qui est venu l’arrêter. Je n’oublie pas que lors de ma première année d’enseignement au lycée, en 1960, une excellente élève de seconde, née en 1944, âgée de 16 ans, m’a déclaré de bonne foi, interrogée en instruction civique, que les Alliés s’étaient battu … non pas contre les puissances de l’Axe, mais contre les Juifs.Je hais, et pour cause, les rafles, et j’ai honte de celles qui se passent en ce moment dans mon pays à la sortie d’écoles ou dans des centres de santé.Je demeure donc vigilante vis-à-vis de mon pays, à qui je ne donne pas quitus sans vérifier. Je le tiens à l’œil, mon pays ! C’est mon devoir de citoyenne. Je ne suis pas fière de mon pays, je trouve que cette expression n’a aucun sens dans l’absolu. En revanche il me plaît que mon pays soit fier de moi. C’est pourquoi je remercie du fond du cœur la République de m’avoir jugée digne du grade de commandeur de la Légion d’Honneur.
Catherine Coquery-Vidrovitch

Séminaires du Cemaf

Seminaire n°1 :
Pouvoirs sacrés africains : retour sur une ressource politique universelle

Séminaire mensuel du cemaf
9 rue Malher, M° St Paul, 2e étage, Salle Person Mardi 11h30-13h30
Christine Henry (Cemaf-Ivry), Gilles Holder (Cemaf-Aix) et Henri Médard (Cemaf-Paris)
Contacts : medard@univ@paris1.fr ou holder@mmsh.univ-aix.fr ou christ.henry@tiscali.fr

Mardi 15 Avril 2008:
Autour des rois du Dahomey, Christine Henry (Cemaf-Ivry),
discutée par Dominique Juhe-Beaulaton (Cemaf-Paris1)

Seminaire n°2:
Esclaves et dépendances personnelles en Afrique orientale (XVe-XXe siècle)
Henri Médard (Université de Paris 1 –Cemaf), Franck Raimbault (Cemaf) et Thomas Vernet (Université de Paris 1 –Cemaf)

Mardi 15 Avril :

Samuel Sanchez (Paris 7, Sedet), L’Emancipation paradoxale des esclaves à Nosy Be

Mardi 17h30-19h30, salle Person, 9 rue Malher, Paris 4e M° Saint Paul,
contact : medard@univ-paris1.fr

vendredi 11 avril 2008

Les rébellions au nord Niger et au nord Mali 1990-2008

Elodie Apard et Camille Lefebvre nous signalent l'organisation d'une demi-journée d'études consacrée aux rébellions touareg au Mali et au Niger, le vendredi 18 avril de 14h à 18h, à la délégation Paris A du CNRS à Ivry (27 rue Paul Bert, Ivry sur Seine, Métro, ligne 7, Porte de Choisy ou Porte d'Ivry).
Dominique Casajus - Introduction 14h - 14h30
Elodie Apard, Camille Lefebvre de 14h30 - 15h15
André Bourgeot, Les révoltes touarègues des années 90 et 2007 : approche comparative 15h15 - 15h45
Débat 16h - 16h45
Charles Grémont, L'attaque de Kidal du 23 mai 2006. Les effets et la cause d'un acte isolé 16h45 - 17h30
Pierre Boilley, Rebellions touarègues malienne et nigérienne entre résolution et réactivation 17h30 - 18h
Débat et Conclusion.

jeudi 10 avril 2008

Séminaire "la fabrique des savoirs"

Jeudi 10 avril – 14h-16h – salle 221 - Savoir, mémoire, patrimoine
Coordinateur : Jean-Luc Martineau
-Sabine Gagnier (SEDET) : Patrimoine commun de l'humanité : histoire juridique, politique et critique d'un concept porteur du Bien commun ?
-Jean-Luc Martineau (INALCO-SEDET) : Patrimoine religieux, mémoire et histoire dans l’espace yoruba : l’Unesco à Osogbo (Nigeria).